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Après 6 ans, une compilation et deux live, dont un avec orchestre, voici le nouvel album studio d’Aftercrying.
Une fois n’est pas coutume, cette chronique va se diviser en deux. La première ne traitera que de la musique, et la seconde uniquement des paroles du concept, car "Show" est un concept album, ni très original, ni très intelligent, mais on aura l’occasion d’y revenir.
"Show" reprend assez précisément là où 6 s’était arrêté. Aftercrying ayant épuisé sa progression vers l’électrique, le groupe s’enrichit des voyages récents. Les festivals d’Amérique du Sud ont fait découvrir une musique plus percussive, et cette intégration se ressent dès les premières minutes de "NWC" et se poursuit tout au long de l’album. Tout comme il est flagrant que le groupe a intégré dans ses rangs un chanteur "presque" digne de ce nom (en gros un clone de Rick Davies de Supertramp) , ce qui a tout de même permis au groupe de développer des lignes de chant auparavant inaccessibles. D’ailleurs, le groupe a également fait davantage appel à Judith Andrejsky (qui officiait dès "Overground music" sur "shining", et continuait à participer de loin en loin aux albums du groupe), dont la voix, comme toujours, est un véritable enchantement.
Comme précédemment, le groupe construit ses morceaux épiques avec une progression thématique lente, jouant sur la montée en puissance par l’ajout d’instruments. Cette recette qui avait offert au groupe des titres sublimes sur "Megalazottak es megszamoritottak" et "Fold es eg" est une nouvelle fois utilisée ici, avec "invisible Legion", dont le thème rappelle "kifulladasig", sur "De profundis".
Tout au long de sa carrière, Aftercrying a mûri jusqu’à devenir, sur "6", enfin un groupe à part entière, là où il était avant un collectif de musiciens. Tout en conservant une qualité musicale irréprochable, Aftercrying composait des pièces feutrées ou emphatiques, mais ne se montrait en tant que groupe que sur ces plus plus épiques et les plus emphatiques. Les autres étant jouées par une formation plus resserrée. Depuis "6", tous les musiciens participent à quasiment tous les titres, et l’homogénéité s’en ressent de manière flagrante. A l’instar de 6, donc, "Show" est donc surtout l’œuvre du groupe ; mais contrairement à lui, il est plus immédiat, plus facilement accessible, et l’on peut légitimement se demander s’il pourra vieillir aussi bien.
Enfin, l’utilisation de thèmes classiques, bien qu’habituelle chez le groupe, souffre ici d'un manque de subtilité évident, et probablement voulu comme tel. En particulier le Bolero de Ravel, qui sert de trame à "secret service", s’avère un brin indigeste.
Heureusement, l’utilisation d’éléments jazz et funk, notamment sur "technopolis" apporte un souffle de variété et de nouveauté bienvenu.
Parlons à présent du concept. En 1972, un artiste italien, compositeur et parolier de talent, poète à ses heures, et fortement ancré dans une pensée traditionnelle communiste, Herbert Pagani créait le spectacle "Megalopolis" dont sortait par la suite un double album (aujourd’hui difficilement trouvable en CD malgré une récente réédition désormais épuisée). Ce spectacle (gros succès à l’époque), qui s’inscrivait clairement dans le contexte de la guerre froide, montrait un monde déshumanisé, manipulé par les médias, soumis à une surveillance policière de tous les instants et harcelé par une publicité omniprésente sur tous les supports. Au-delà du caractère dramatique de l’oeuvre, Pagani s’attachait à décrire la solitude de ses personnages, et à ressortir le comique des situations.
Avec ce spectacle, Pagani dénonçait tous les systèmes totalitaires, bien qu’il visait probablement plus précisément les USA (d’autant que la guerre du Vietnam battait son plein). Mais sa dénonciation pouvait tout autant s’adresser au système soviétique ; et au-delà de la naïveté de certains textes, c’est leur poésie et leur humour qui leur permet de survivre et de continuer à émouvoir encore aujourd’hui.
En ce moment, vous vous demandez probablement pourquoi j’ai tant parlé d’un autre artiste, alors que, je vous le confirme, ceci est bien toujours la chronique de l’album d’Aftercrying. La raison en est simple, le concept de "Show", est tout bonnement le même que celui de "Megalopolis". A quelques détails près, mais ils sont importants. La portée du spectacle de Pagani était universelle. Ici, Aftercrying, nous sert un propos qui aurait pu naître dans l’esprit des propagandistes brejneviens. Traduction : les USA, initiateurs du nouvel ordre mondial qui arrive, représentent un danger pour l’humanité, cet ordre ayant pour but d’annihiler toute pensée, et de transformer les aspirations philosophiques en désirs matériels ! Tout comme chez Pagani, ils insèrent un flash d’info propagandiste volontairement ridicule, sur "remote control" mais point ici de second degré ou d’humour ; on navigue dans les eaux peu profondes du premier degré. Les spots nous rappellent que d’après le nouvel ordre mondial, l’argent fait le bonheur, et la liturgie (si sacrée pour Aftercrying) est recyclée en argument commercial… Un comble ! Pour aller plus loin dans le plagiat, le "Megalopolis" de Pagani est transformé ici en Technopolis, mais il s’agit bien du même propos, la finesse et l’intelligence en moins. Et si l’auditeur ne faisait pas immédiatement le rapprochement avec les USA (qui ne sont jamais cités explicitement, le groupe se contentant de faire référence à ce nouveau monde qui apporte le nouvel ordre mondial, ce qui déjà n’est guère cryptique), les musiciens ont intégré le passage le plus connu de la "Symphonie du nouveau monde" de Dvorak sur "NWC", histoire de lever la moindre ambiguïté.
Voici donc un disque qui flirte avec la brillance dans sa forme musicale, et qui s’enfonce démesurément dans la démagogie la plus abrutie et abrutissante dans son contenu, qui plus est, plagiant outrageusement une œuvre préexistante...
Souhaitons à Aftercrying d’être plus éclairé, et plus inspiré, la prochaine fois.
Daniel Beziz
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