(2119 mots dans ce texte ) - lu : 731 Fois
Le magazine finlandais dédié au progressif Colossus organise depuis plusieurs années d’ambitieux projets musicaux rassemblant divers acteurs de ce courant autour d’un thème commun. Libre à chacun d’illustrer à sa façon une fraction de l’histoire, la seule contrainte imposée étant de n’utiliser que des sonorités qui existaient au cours des années 70, l’âge d’or du progressif est-il encore besoin de le rappeler. Après les thèmes "Kalevala (illustrant la mythologie finlandaises), "Spaghetti epic" (honorant les westerns façon Sergio Leone) et "The colossus of rhodes" (antique péplum à la gloire d’une des 7 merveilles du monde) et avant beaucoup d’autres (il suffit d’aller sur leur site pour s’apercevoir que ces gens-là ne sont pas à cours d’idées !), cet "Odyssey" peut-il aussi être considéré comme un bon millésime, ou alors atteint-on le fond du tonneau pour aboutir à une affreuse piquette ? En effet je considère pour ma part que les premiers opus furent de belles réussites, le résultat présenté par les groupes les moins talentueux étant amplement compensé par les merveilles offertes par les autres. On sent bien que ce rapprochement de musiciens venant d’horizons très divers, géographiquement comme stylistiquement, est l’occasion rêvée pour les moins connus de présenter une carte de visite afin de se faire connaître d’un plus grand public, et pour les autres de faire patienter les fans jusqu’au prochain album. Ce que je regrette, c’est que certaines formations (très peu heureusement) nous aient recasé leur long morceau sur leur album suivant !
L’histoire d’ "Odyssey" raconte donc l’Odyssée du célèbre Ulysse et ses amis (mais sans Nono le petit Robot) qui, plutôt fatigué après être sorti vainqueur de la guerre de Troie, n’a rien trouvé de mieux que de faire un immense périple au-delà des mers, jalonné comme il se doit d’épreuves physiques, mentales, sentimentales et accessoirement sexuelles (j’introduis volontairement ce terme ici pour relancer un peu l’attention du lecteur avachi et prêt à s’assoupir). Bref, vachement courageux le mec. Le récit est donc découpé sur 3 CDs, chacun présentant 3 groupes habilement répartis à travers le globe, et tous les morceaux tournent autour de 20 à 30 minutes, durée qui semble devenue la norme pour ces projets, puisque jusqu’à présent seul "Kalevala" était constitué de morceaux de durées très variées, permettant ainsi à plus de groupe d’y participer. Pour résumer, il s’agit sans doute de la réalisation la plus ambitieuse de Colossus.
Les Canadiens de Nathan Mahl, sont chargés de l’entrée en matière. On retrouve ici une composition assez typique du style du mentor Guy LeBlanc, à nouveau auteur exclusif de la musique et interprète des claviers, flûtes, basses et certaines parties de guitare. Il est ici accompagné de seulement deux de ses collègues : Daniel Lacasse aux batteries et percussions et Mark Spenard aux guitares acoustiques et électriques. On retrouve cette écriture foisonnante, énergique et complexe, hélas parfois à la limite de la surcharge, menée avant tout par des claviers telluriques à la sauce ELP – utilisation d’Hammond et de Moog -, avec aussi une petite touche funky apportée par le Clavinet. Mais au fil des années il semblerait que notre ami ait tenu compte de ces remarques et il le montre ici à nouveau en introduisant régulièrement des motifs plus mémorisables et mélodiques, ainsi qu’en parsemant son propos de belles accalmies, retenant ainsi mieux l’attention et donnant plus de force aux rebondissements qui suivent. Le début du morceau et sa partie centrale sont ainsi d’une grande beauté et empreints de sensibilité. Une plus grande place est aussi cédée aux envolées de guitare. Je regrette juste cette vague impression d’entendre une succession de parties solistes, et je souhaiterais davantage de moments où tous jouent ensemble et dans la même direction.
Passons ensuite aux Argentins de Nexus, avec qui la transition n’est pas trop raide, étant donnés l’influence commune d’ELP - un court clin d’œil à "Tarkus" viendra le confirmer - et la forte coloration claviers du groupe. C’est encore ici le claviériste surdoué Lalo Huber qui a écrit cette pièce, ensuite arrangée par ses potes : Daniel Ianniruberto à la basse, Luis Nakamura aux batteries et percussions et Carlos Lucena aux guitares acoustiques et électriques. Exit par contre la chanteuse Mariela Gonzalez. Dommage, car j’aimais beaucoup son timbre de voix très typé et son chant ample et plein d’emphase. Elle est ici remplacée par un petit nouveau : Lito Marcello qui chante lui aussi en espagnol. J’ai tout de suite été séduit par cette nouvelle composition. Son démarrage très symphonique et enveloppant, enchaîné avec des mélodies fortes et prenantes issues de sonorités très diverses, sa structure aussi variée qu’imprévisible, succession de climats bien maîtrisés, ses envolées solistes magnifiques. On sent que chacun a apporté beaucoup de lui-même dans ce morceau. Le chanteur n’intervient pas souvent, mais il est vraiment excellent, moins exalté que Mariela, cherchant principalement à véhiculer de l’émotion, faisant de chacune de ses apparitions une réussite imparable. Ils ont la bonne idée de nous surprendre par une fausse fin au bout de 23 minutes ; les 5 suivantes étant consacrées à un conte musical ambiance "Seigneur des anneaux", récité dans une langue inventée, avec des vocaux exubérants et désopilants, rappelant "the hare who lost his spectacles" de Jethro Tull.
Ce premier CD se termine par d’autres grosses pointures de l’assaut claviéristique avec les ricains de Glass Hammer. Leur style, initialement mâtiné de Yes, Genesis et ELP, s’affine et s’affirme de plus en plus au fil du temps, si bien qu’ils sont devenus une référence incontournable actuellement. L’intro chant féminin et piano donne une coloration Renaissance bienvenue, une seconde voix féminine vient lui répondre, le rythme enfle et s’accélère, et c’est parti pour une bonne vingtaine de minutes gorgées de structures à plusieurs voix, s’adaptant parfaitement au concept de départ propice à un traitement façon opéra-rock. Est-il besoin d’ergoter plus longtemps pour vous dire que ce morceau confirme tout le bien que je pense de Glass Hammer ?
Viennent ensuite nos compatriotes de XII Alfonso. Je ne suis pas particulièrement chauvin, mais je dois dire que ce sont eux qui m’ont le plus étonné, au point que je leur décerne la palme de l’originalité – n’est-ce pas d’ailleurs une des caractéristiques du monde progressif ? Je les avais perdus de vue depuis quelques années, en grande partie à cause de parties chantées peu convaincantes, mais je dois reconnaître avoir eu tort. Je vais pouvoir rectifier le tir avec la sortie actuelle de "Claude Monet 2". Signalons d’abord une approche différente des autres, consistant à présenter non pas une pièce monolithique, mais une succession de vignettes toutes instrumentales, mis à part des échantillons de voix très originaux, décrivant chacune une scène des pérégrinations d’Ulysse. Et il faut avouer qu’à la fin de chacune, je me suis demandé : et maintenant que vont-ils encore inventer pour me surprendre et me faire plaisir ? Vous me croirez ou non, mais ils font mouche >à tous les coups. Leur musique est de nature symphonique, folklorique et romantique, faisant d’eux des sortes de Mike Oldfield à la française, sans pour autant lui emprunter directement, en dehors de quelques effets de guitares reconnaissables. C’est plus dans la démarche et le style que dans les sons que le rapprochement est possible : la recherche de sonorités originales ou d’atmosphères précises, la fragilité et la pureté pastel des instruments acoustiques ou des chœurs, les rythmes davantage percussifs qu’à base de batterie. Bref, un grand Cocorico et bravo à nos amis bordelais les 2 frères Claerhout.
Retour au rock symphonique avec les talentueux allemands de Simon Says, qui ne sont pas si éloignés de Glass Hammer dans l’instrumentation, puisque Stefan Renström n’a rien à envier dans son jeu de claviers souple et virevoltant à Fred Schendel. La différence vient essentiellement de la façon d’aborder le chant. Daniel Fäldt a une manière bien à lui de chanter, dans un anglais parfait. Donnant la fausse impression de dérailler, elle apporte une touche particulière aux morceaux et s’avère même très réussie dans les moments plus énervés. De plus il est ici accompagné par Pnina Yavari Molin, apportant la petite touche de féminité qui s’impose dans les thèmes abordés. La musique est comme toujours d’une grande richesse, avec des idées à foison garantissant le plaisir des écoutes futures. Parvenus en seulement 2 albums dans la cour des grands, Simon Says nous offre là de quoi patienter avant la sortie, je l’espère rapidement, d’un prochain album.
J’étais un peu réticent face aux italiens de CAP. Plutôt déçu par leur "Robin delle stelle" qui ne m’a pas donné ce que j’attendais d’un progressif à l’italienne tel qu’annoncé à l’époque. Il est vrai que d’une manière générale, j’apprécie moins les groupes qui donnent trop de place à la voix, surtout quand cette voix mériterait plus de discrétion – sans doute est-on tellement envahi dans les médias de soi-disant chanteurs ou chanteuses " à voix " que ça me gave un peu. Maurizio Mercandino est un peu de ceux-là à mon goût, en cela qu’il adopte un maniérisme et une emphase qui le rapproche du bel canto ou de l’opérette, et là je craque. Ceci étant dit, la présente composition m’invite à nuancer mon jugement passé, car force est de constater que le travail accompli mérite le respect. Le chant du gus passe mieux et surtout la musique se fait plus présente. Parfois un peu fouillis par son empressement, elle sait se faire subtile et tantôt jazz-rock et user de thèmes récurrents.
Poursuivons le tour du monde avec les Vénézuéliens de Tempano qui s’avèrent être une découverte intéressante et vraiment originale. Avec une musique parfois dépouillée ou carrément cool et planante comme le vieux Floyd, ils parviennent à installer des atmosphères en usant de peu d’effets, sombrant souvent dans des ambiances obscures et angoissantes et usant parfois de quelques dissonances. Tous les passages ne sont pas forcément enchaînés, comme l’a fait XII Alfonso, sans avoir toutefois le même éclat. L’ensemble est globalement réussi, et s’il donne une impression de noirceur et de moindre luxuriance face aux groupes placés avant lui, il constitue une rupture de style fort appréciable.
Retour en France, avec les célèbres Minimum Vital et leur délicieux progressif médiéval, à grands renforts d’orgue d’église, de mandoline et de guitares précises et tranchantes à la sauce Mike Oldfield. Mais ce qui apporte un charme si particulier, ce sont les parties vocales, à base de langue inventée - les frères jumeaux Payssan se parlent-ils dans cette langue depuis l’enfance, nul ne le sait - mâtinée de français et d’onomatopées, et chantées sur un ton de ménestrel, avec un enchevêtrement des voix, entre elles ainsi qu’avec les instruments. Ce morceau est un grand crû, parmi les plus grandes réussites du groupe. Les passages acoustiques sont de toute beauté. L’inspiration est palpable à chaque instant, pour un résultat en tout point passionnant, globalement empreint de sérénité malgré le ton résolument rock.
Nouveau détour en Amérique du sud pour découvrir les Brésiliens d’Aether. Ils sont reconnaissables de par le son de guitare très saturé dans les aigus, finalement plus proche d‘un son de synthé. L’introduction est planante, comme le sera majoritairement tout le morceau, mais un peu gâché par quelques passages un peu kitsch de clavier, typés néo-prog et déjà entendus cent fois. Le chant dans un anglais imparfait est assez plat et gnan-gnan, à mon avis ils devraient s’en passer. Rassurez vous, les bonnes idées ne manquent pas, mais il y a quelques longueurs ce qui fait que l’on peine à décoller. C’est un peu le reproche commun que l’on peut faire à beaucoup de groupes brésiliens. Néanmoins le morceau devient vraiment superbe dans son dernier tiers, où se mêlent acoustique, chœurs synthétiques, symphonisme quasi-classique et même un passage métal.
En dépit d’une indéniable réussite sur le plan musical, je serais assez curieux de connaître les chiffres de ventes de tels objets, étant donnée l’époque actuelle où je constate que la plupart des gens sont de moins en moins prêts à dépenser de l’argent pour acheter de la musique, préférant un téléchargement gratuit facilité par le développement d’Internet. Par ailleurs une autre tendance "zapping" consistant à vouloir accéder à tout rapidement et sans effort, pourrait mettre en péril des projets constitués de doubles ou triples CDs remplis à ras bord de morceaux complexes de plus de vingt minutes chacun, nécessitant un fort investissement en temps, en plus de l’aspect financier. Je salue en tous cas le courage et l’investissement de Colossus, de Musea et de tous les musiciens impliqués dans ces aventures, à haut risque mais qui procurent, même à une faible frange de population, des heures de plaisir musical. Sans parler du packaging comme toujours très soigné.
Michael Fligny
Temps : 0.0595 seconde(s)