Cordiolay : Tatayoko (2014 - cd - inédite - jamais parue dans le Koid9)
Quelle immense surprise que cet album ! Divine, également, tant le résultat dépasse de loin toutes nos espérances. Et ce délire ouvertement rock et plus, si affinité, est l’œuvre de notre bohémien attitré, Benjamin Biolay. Le fruit de son esprit fertile en collaborations juteuses et ultra productives. Que l’on se rappelle le sursaut d’Henri Salvador multi primé en son temps. Libéré depuis de son carcan d’icône nouvelle vague de la variétoche française (classement trusté depuis peu par le nettement plus pâlot Raphaël), Benjamin est allé réanimer notre artiste belge préférée : Annie Cordy. Et pas de n’importe quelle manière. Cordiolay était né.
Premier enfant sonique du duo : "Tata Yoko", album concept basé sur la vie de la pétulante Yoko Ono, mise tout sur le rock abrasif des années 70. Celui de Led Zeppelin. Celui du Rock Progressif surtout. Celui que les moins de vingt ans n’ont pas connu.
Loin du ridicule démonstratif à la ELP, plus proche de King Crimson ("Tonton Schizo du 21ème Siècle") et surtout de Genesis ("La Colonie des Hommes en Slip") dont se réclame ouvertement Benjamin : "Peter Gabriel avait le génie du déguisement et j’ai retrouvé cette même folie, cette même créativité débridée chez Annie. C’est une artiste complète, dévouée, imaginative. Son talent est sans limite".
En deux disques bourrés à craquer et près de deux heures et demi de fantaisie débridée, le duo magique empile les références avec une excellence qui ne fléchie jamais. Passant du clin d’œil émouvant à John Lennon dans un phrasé Neil Young période "Harvest" ("The Bullet and the Damage Done" avec une rythmique Calogero / Manu Katché à tomber) ou l’emphase électrisante sur un texte grisant qui ose enfin dénoncer les vicissitudes du monde : l’ombre de la grippe aviaire ("L'Agneau grille sur Broadway") , la pollution ("New Beatle"), la religion avec qui Annie règle enfin ses comptes ("The Priest, The Nun and the phone number of the Beast" sur un style poilu à la Iron Maiden), la sexualité ("Haut, Bas, Fragile", un tube en puissance avec Natasha St. Pier).
Ce chapelet lumineux aborde les styles avec une audace rarement entendue. Country, folk, hard rock, techno métal, doom, pop alambiquée se retrouvent au pinacle sur la sémillante suite que nous offre tout le second album : "Yoko Yak Yaourt – The Scrabble Suite". On y retrouve les angoisses du compositeur, celles d’Annie également. C’est émouvant. C’est beau. C’est gonflé. Une réussite majeure qui touche au cœur ("Yoko Coco", "Où Est Passé Bartok ?") et dont le final en duo avec l’ami Christophe Mae est une apothéose explosive ("Storia Per Un Amico Stupido").
Chapeau. Il faudra du temps pour se remettre d’une telle œuvre. Et si la chanteuse avait délaissé chapeaux colorés et feux de la rampe depuis quelques années, il ne faudra pas longtemps pour la voir ressurgir sur scène avec un spectacle pyrotechnique déjà programmé. Celle qui fût l’égérie de Kate Bush et Björk (pour ne citer qu’elles) et d’une Mylène Farmer en pré-retraite frappe un grand coup. Car en vérité, Cordiolay offre ce que la musique occidentale et populaire recherche depuis des décennies. Un amalgame des genres. Une synthèse enfin aboutie, audacieuse et réjouissante de la pop moderne. Et nous ne remercierons jamais assez ces artistes pour avoir su trouver la porte si chère à Jim Morrison. Et l’ouvrir.
Cyrille Delanlssays |